3 - La faille Méridéenne

Marco arpentait d’un pas léger la Via Chiappori. Au bout, on voyait la mer. Mais il s’engagea à gauche dans la Via Vittorio Venetto. C’est là qu’il habitait. Monsieur Peretti, le fondé de pouvoir, l’avait félicité. Non, mieux que ça, il l’avait congratulé ! Pour sûr, une affaire pareille, ça n’arrive pas tous les jours ! Dix mille lingots d’or, même en or industriel, c’est une valeur colossale ! Et s’ils pouvaient être transformés en or de bourse, alors là ...!

Mais ça, ce n’est plus le problème de Marco. A ce niveau, ça le dépasse. Et puis, il n’a pas envie de savoir. Marco préfère être un «gagne petit». Tout ce qui l’intéresse, c’est le résultat du marché qu’il vient de passer avec monsieur Peretti. De quoi être à l’abri du besoin pendant 20 ans.

Mais ça n’a pas été facile. Il a fallu un fin travail d’approche pour oser proposer une telle affaire. Maintenant, il se dit que le plus dur n’est peut-être pas fait. Car il reste à réceptionner les lingots, à les payer et à les convoyer à l’endroit prévu. Dix milliers de lingots, ça fait dix tonnes, ça ! Dix tonnes d’or, ça dépasse l’imagination. Mais à aucun moment il n’a mis en doute les propos de Rico. Il le connaît bien Rico. Ils se sont connus en France, à Toulon, au bar du Mistral. Pourtant, il y a un truc qu’il ne comprend pas. Il lui a demandé de venir avec un zodiac ! Comment va-t-il mettre dix tonnes d’or sur un zodiac ? Il y a des moments, faut pas chercher à comprendre, lui a-t-il dit.

* * * * * * * * * *

Ted Fleck retourne la problématique dans tous les sens. Il ne peut imaginer qu’elle soit sans solution. Et pourtant, à l’endroit où le Neptune a disparu, c’est un grand fond inaccessible. Au moins 3000 mètres de profondeur ! Bon sang, mais qu’a t-il pu se passer ? Aucun message de détresse n’a été lancé. La tempête ? Elle était passée, le cargo l’avait signalé. Ca ne coule pas comme ça un cargo ! Ted se prend la tête à deux mains. Comment expliquer un truc pareil ?

La zone a été quadrillée vingt fois, rien ! Pas un signe, pas un corps, rien de rien, volatilisé le bateau ! Une vraie histoire de fou ! Dix tonnes d’or disparues !

Pour sonder le fond sous marin, il faut des moyens très lourds, aucun moyen de plongée classique ne peut résister à moins 3000 mètres, il faut un engin spécial. Et puis quoi ? On saurait que le cargo est au fond, et alors ? D’ailleurs, où pourrait-il être ? Il n’existe sûrement aucun moyen de remonter quoi que ce soit de moins 3000 mètres.

C’est cet animal de Jefferson qui a insisté pour convoyer par la mer. C’est lent, mais c’est plus sûr, avait-il dit. L’andouille ! L’incompétent ! Le minable ! Ted en veut à la terre entière. Il voudrait trouver, là, devant lui, un sac de sable pendu au plafond, pour frapper et frapper encore !

Le téléphone. C’est Jefferson qui appelle. Il dit qu’il peut obtenir une mission spéciale d’une société, l’Otremer, avec le FUTILE, un engin habité qui peut aller jusqu’à 6000 mètres avec un engin type ROBIN télé opéré à partir du FUTILE, et le GROB, pour ouvrir l’épave et récupérer la cargaison. Mais ça coûte !
-- Ouais, et on leur dit quoi à l’Otremer ? Que la cargaison est composée de caisses de chocolat ?
-- Ils n’ont pas besoin de savoir. Si l’or est toujours dans les caisses, on remonte les caisses et c’est tout. Par contre, si les caisses sont éventrées, là, faudra aviser.
-- Ils doivent bien se douter que la cargaison a une valeur inestimable pour engager de tels moyens matériels et financiers.
-- Peut-être, mais ils s’en foutent. Ca ne les regarde pas.
-- Bon, on prend le risque. De toute façon on n’a pas le choix. J’espère que c’est toi qu’ils foutront dans le FUTILE, ça t’apprendra à vivre !
-- Calme-toi, Ted. Je préviens l’île Maurice qu’on engage tous les moyens pour récupérer le coup. A plus tard.

Le caboteur «San Velo» fait route vers l’île Saint Honorat, la plus petite des îles de Lérins. Rendez-vous a été pris à l’est du port des Moines. A bord, Jean et Rico ne parlent pas. Ils sont exténués. Dix tonnes d’or à remonter de 3500 mètres, même pour deux méridéens, c’est un exploit physique. Heureusement, ce caboteur pourri avait un treuil et près de 800 mètres de câble. Ce qui a permis de faire un palier.
-- On arrive, dit Jean.

Rico observe aux jumelles. Il voit bien l’abbaye, là sur la gauche, le port des Moines, mais pas de zodiac. Ni d’autre bateau d’ailleurs.
-- Contourne le port, dit Rico. C’est un banquier, il a peut-être confondu l’est et l’ouest.
-- J’adore ton humour dans les moments critiques, rigole Jean.
-- Ah, ça y est, je vois ses feux, là, plein nord.
Bientôt, ils abordent le zodiac. Ils invitent Marco à monter à bord du «San Velo». Rico soulève la bâche.
-- Voila, tout est là. Dix tonnes d’or ! et toi ?
-- Voila le récépissé de l’ordre de virement, comme prévu. Le reste après vérification, comme prévu également. Vous pouvez avoir confiance, la transaction n’est pas en votre faveur, c’est un élément favorable.
-- C’est sûr que de l’or à ce prix là, tu n’en trouveras pas tous les jours, dit Jean. Mais ça nous suffit. Nous voulons vivre simplement.
-- Et maintenant, comment je fais avec mon zodiac ?
-- Tu fais comme tu veux. Soit tu le remorques, soit tu le laisses sur place. Nous, on s’arrête ici. Tu continues avec le caboteur, dit Rico. On ne peut pas faire plus simple.
-- Comment ça, vous vous arrêtez ici ?
-- Nous te quittons là. Et pour ça, nous n’avons besoin de rien, dit Jean.

Il plongea, suivi de Rico. Marco, ébahi, regardait tout autour, attendant de les voir réapparaître. Mais personne ne réapparut. Ben ça alors ! Il resta encore un moment à chercher des yeux une tête qui sortirait de l’eau, mais rien, rien que des crêtes de vagues provoquées par le vent. Faut pas chercher à comprendre, lui avait dit Rico. Comme un automate, il mit le cap sur Vintimille.

Pourvu que ce caboteur déglingué ne tombe pas en panne ...

Ted et Jefferson suivent la descente du FUTILE. Ou plutôt, ils tentent d’interpréter ce qu’indiquent les écrans d’ordinateurs sur le navire qui coordonne la manoeuvre. Dieu, que c’est compliqué la technique sous marine.

Jusqu’ici, le chef d’opération n’a pas été très bavard. Dans combien de temps le FUTILE arrivera t-il au fond ? 15 minutes environ. Le sonar a bien détecté l’épave. Ted demande où est l’écran qui renvoie l’image vidéo. Pour l’instant, il n’y a rien à voir, lui répond t-on.

Le pilote du FUTILE communique bien avec le QG mais les conversations se font en italien. Pourquoi ne parlent-ils pas anglais comme tout le monde, peste Ted ! Bientôt, l’écran s’éclaire mais il est bien difficile de distinguer quelque chose de précis. Pourtant, on croit voir une hélice. Oui, c’est bien ça, et puis la quille, là, sur la droite.

Le bateau est couché sur le flanc bâbord. Aie, aie, aie, il y a de grandes chances pour que les caisses soient éventrées. Ted précise que, compte tenu de la position qu’occupe le cargo, il faut ouvrir par le dessus, sur le tiers arrière. Le chef d’opération rétorque qu’il a le plan du cargo avec l’emplacement de la cale. Ted se dit qu’on pourrait traduire par : j’ai pas besoin de vos conseils les gars ! Ils décident de se taire pour l’instant mais n’en perdent pas une miette.

Les engins de découpe sont envoyés. Sont-ils pilotés par le navire surface ou le FUTILE ? Ted et Jefferson n’y comprennent pas grand-chose. Ils croient néanmoins distinguer la progression de la découpe. Deux heures que ça dure. Ils sont sur les nerfs. Le chef d’opération demande à Ted de s’approcher car le trou a pu être pratiqué et le FUTILE va envoyer l’image de l’intérieur de la cale. Voila, le faisceau lumineux balaie doucement la cale. On voit un désordre indescriptible dans lequel on distingue des amas de planches de caisses, que des planches de caisses. C’est évident qu’il n’y a pas plus d’or dans cette cale que dans les poches d’un mendiant !

Ted croit qu’il va défaillir. Jefferson est inerte, la bouche béante, les yeux exorbités.
-- Je ne sais pas ce que contenait votre cargo, mais il a été pillé, dit le chef d’opération. Mais il n’a pu l’être qu’en surface. A 3500 mètres de profondeur, c’est impossible, vous le voyez bien !

* * * * * * * * * *

Le Neptune pillé en surface ! Mais comment ? Ted liste une nouvelle fois, méthodiquement, les éléments de cette affaire :
- Le chargement s’est bien effectué comme prévu. Il a été vérifié par Jefferson et lui-même.
- Le cargo est bien parti avec son chargement. Là-dessus, il n’y a aucun doute.
- Seul, Loïc le commandant du cargo et trois de ses subordonnés étaient dans la confidence. La fiabilité de Loïc et sans conteste. Jefferson aussi en est sûr à cent pour cent. Seuls, lui et ses subordonnés avaient accès à la cale, laquelle était sous surveillance vidéo.
- C’est Jefferson qui a donné l’ordre à Loïc de se dérouter pour échapper à une tempête redoutable. Mais le cargo a néanmoins essuyé une autre tempête, sûrement aussi redoutable que celle qu’ils avaient voulu éviter. Pendant tout ce temps, ils étaient en contact radio. Loïc avait signalé qu’ils s’en étaient sortis sans aucun dommage.
- C’est 10 minutes plus tard, pas plus, que le contact radio a été interrompu. Le point GPS correspond à peu près à celui où se situe actuellement l’épave.
- Deux heures plus tard, Jefferson était sur place après avoir affrété un hélicoptère. Il a immédiatement quadrillé la zone. Il est formel : la zone était déserte, aucun bateau susceptible d’avoir abordé le Neptune. Plus tard, les services du contrôle maritime ont confirmé cette situation : aucun bateau ne croisait dans les parages !

Pourtant, le Neptune a sombré, corps et biens, et l’or a disparu ! Il n’a pu disparaître qu’entre le point de départ et le point où il a coulé. Pour Ted, il n’y a qu’une explication possible : Loïc, le commandant du Neptune ! Mais il a disparu aussi ! Ted pense que c’est la fin. S’il survit, il deviendra fou !

Jean et Rico sont engagés dans une course contre la montre. Le Grand Sage ne va pas tarder à conclure que Jean ne reviendra pas et il va se mettre à la recherche de l’or. Il n’a pas les coordonnées de l’épave mais aucun doute qu’avec l’aide de tous les méridéens, il finira par trouver. Mais c’est trop tard. Il trouvera le cargo vide.

L’or est actuellement sur un caboteur, sans doute pas loin de Vintimille, en Italie. Eux, ils doivent se dépêcher de quitter l’élément liquide. Car nul doute qu’il y aura des représailles.

Ils abordent la plage de Cavalière. Rico dit qu’il va immédiatement téléphoner à la banque pour vérifier si le virement a été effectué. Si c’est le cas, alors ils viennent de faire leur dernier voyage de méridéen ! Jean serre les poings pour ne pas pleurer ... Lorsque Rico le rejoint dans la chambre 117, Jean a compris. C’est fini.

Non, ça commence. Leur nouvelle vie commence ...

* * * * * * * * * *

Ted Fleck perd pied. Il ne sait plus comment contenir les gens de l’île Maurice qui, à l’évidence, ne croient pas à cette histoire du cargo disparu. Il va sombrer aussi, c’est sûr. Mais tout à coup, Jefferson fait une entrée fracassante dans son bureau. L’air hilare, les yeux ronds, il regarde Ted en attendant une réaction de sa part. Deviendrait-il fou, lui aussi ?
-- J’ai une super nouvelle ! se décide t-il.
-- Tu as retrouvé l’or ? se gausse Ted.
-- Non, mais une piste, sûrement ! Ecoutes ça : l’Otremer signale qu’un petit bateau est planté verticalement à 200 mètres du Neptune ! Et c’est pas tout. D’après un premier examen des dépôts de sédiments, ils auraient coulés au même moment ! C’est pas une piste, ça ?
Ted est ébranlé. Un petit bateau à coté du Neptune, il y a forcément un rapport entre les deux, c’est évident.
-- En sait-on plus ? Le nom du bateau, par exemple ?
-- Oui, il s’appelle «Marie-Thérèse». Mais pour en savoir plus, il faut passer par la préfecture maritime. Et là, on marche sur des œufs ...
-- Pierre a ses entrées aux services douaniers. Il peut sûrement obtenir des renseignements. Mets-le sur le coup !

Ted est perplexe. Quels liens peut-il y avoir entre les deux épaves ?
-- Au fait, l’a-t-on exploré ? demande t-il à Jefferson.
-- Ben justement, l’Otremer est restée sur place pour une mission d’étude mais pour ce boulot, ils disent que ça n’est pas gratuit.
-- Et si l’or était dans ce petit bateau ? se prend à rêver Ted.
-- J’ai déjà demandé au chef d’opération si ce bateau pouvait transporter dix tonnes de cargaison. Il m’a alors répondu que c'était peu probable mais que ça dépendait quand même de la densité de la marchandise !
-- Donnes-leur l’ordre d’inventorier. On ne peut pas passer à coté de ça.

Les réponses arriveront le lendemain. La «Marie-Thérèse» contient de la nacre, et elle avait été déclaré volée à Marseille il y a plus de 6 mois !

Ils sont bien avancés ! Ted se dit que c’est bien pire qu’une histoire de fou ! C’est du surnaturel !

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A coté de l’épave du Neptune, tous les méridéens font bloc. Ils paraissent tous en état de choc et semblent se réconforter les uns les autres en se tenant les épaules un bref instant. Ils psalmodient des choses incompréhensibles.

Cela dure depuis plusieurs heures, depuis que Le Grand Sage a péri par leur folie. Mais que s’est-il donc passé ? Pourquoi en sont-ils arrivés là ?

Depuis leur naissance, les méridéens sont tellement conditionnés par rapport à la survie de La Méridéenne qu’ils ont sans doute perdu toute mesure ! Mais ils n’ont pas de Dieu et les voila tout à coup si orphelins, si désemparés ... Ont-ils senti à ce point que la fin de La Méridéenne était proche ? Ne vont-ils pas, ainsi, directement vers une sorte de suicide collectif ?

L’un d’eux a dû sentir le danger. L’un d’eux a compris qu’il fallait rapidement désigner un Sage, un leader ! Il se met à haranguer la foule des méridéens. Tiens, mais c’est encore celui qui avait demandé une audience au Grand Sage !

-- Non, La Méridéenne n’est pas menacée, dit-il. Nous venons de trahir le Dogme et nous devrons expier, mais cela ne remet pas en cause l’avenir de La Méridéenne. Certes, elle a besoin d’or et elle vient d’en perdre une quantité inestimable. Mais d’autres occasions se présenteront, d’autres solutions sont peut-être envisageables. Je vous propose de me donner le pouvoir provisoirement pour restructurer La Méridéenne. Que l’on transmette un message de rassemblement à tous les méridéens-terriens de par le monde !

Ainsi parla, pour la première fois, le nouveau Grand Sage de La Méridéenne.

Expier, tous les méridéens admettent que c’est indispensable. Ils ont hâte de se laver de l’énormité qu’ils ont commise. Mais le nouveau Grand Sage dit que Jean et Rico, les traîtres par qui le malheur est arrivé, doivent expier aussi. Le réseau des poissons informe régulièrement les méridéens sur des sujets divers. Qu’on le consulte ! dit le nouveau Grand Sage. C’est ainsi qu’il apprend rapidement que Jean et Rico résident à l’hôtel de Cavalière. La dernière fois qu’ils ont été vus, ils ralliaient la plage de Cavalière depuis l’île d’Honorat où ils se seraient séparés d’un bateau, un caboteur, qui a continué à faire route vers Vintimille. Tiens, tiens, n’y avait-il pas l’or dans ce caboteur ?

Alors, avec le réseau des poissons, le nouveau Grand Sage échafaude son plan. D’abord, il faut créer une onde dévastatrice sur la plage de Cavalière. Pour cela, il propose une concentration énorme de poissons et de cétacés au nord de l’île du Levant. Au signal, ils devront tous descendre à 50 ou 60 mètres de profondeur. Ceci devrait créer une dépression suffisante pour générer l’onde dévastatrice. Si, ensuite, la mer ramène des corps, il faudra vérifier si Jean et Rico s’y trouvent et les conduire à La Méridéenne.

Tout se passa comme le nouveau Grand Sage l’avait prévu. Le reflux de la vague dévastatrice entraîna alors Jean et Rico qui furent aussitôt neutralisés par des pieuvres mobilisées spécialement, et c’est ainsi que, contre toute attente, ils retrouvèrent La Méridéenne.

Le nouveau Grand Sage dit qu’il fallait ensuite localiser le caboteur et récupérer l’or, s’il était encore temps ...

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Marco était un piètre navigateur. Mais n’était-il pas avant tout directeur de banque ? Il avait prévenu : de Cannes à Vintimille, je connais un peu la côte, mais après, pour rallier Gènes, je n’y connais rien. Vous prendrez le temps d’étudier le parcours, lui avait-on rétorqué.

C’est vrai que du temps, il en avait. Le caboteur était immobilisé à Vintimille pendant près de 15 jours, le temps que les lingots soient tous vérifiés, sondés et pesés. Car les lingots «fourrés», ça existe, avait dit monsieur Peretti. Mais il n’y avait aucune arnaque. Tous les lingots avaient passé les tests avec succès et étaient parfaitement conformes. Et c’est par une nuit complètement noire que Marco mis le cap sur Gènes pour la deuxième partie du parcours.

Avec une certaine fébrilité, il examinait la carte maritime pour confirmer ses repères. A l’arrivée, ce serait les vacances, les grandes vacances. Mais par superstition, il n’osait trop anticiper les choses. Se succèdent San-Rémo, puis les lumières d’Imperia, puis celles d’Albenga. Au fait, attention à l’île d’Isola Gallinara ...

Mais, quels sont ces gros remous, là, à tribord ? Marco s’empare de sa lampe torche et sort de la cabine. Ce qu’il voit d’abord, ce sont de petits poissons argentés qui sautillent hors de l’eau, comme si, par ce petit jeu, ils exprimaient un contentement. Il y en a des centaines ! C’était un spectacle étonnant que Marco n’avait jamais vu. Mais lorsqu’il dirige le faisceau de sa lampe à quelques mètres du bateau pour éclairer la mer, il se fige d’effroi. Ce qu’il voit maintenant, c’est un énorme grouillement de poissons qui semblent faire route à la même vitesse que le bateau ! Il y a de tout, des petits, des moyens, des gros, même des requins, plein de requins, il a vu les ailerons ! Le bateau roule maintenant dangereusement, de bâbord à tribord, et le mouvement s’amplifie ! Cette fois, Marco a vraiment peur. Si ça continue, ils vont faire chavirer le bateau !

Et ça continue ! Marco a toutes les peines du monde à regagner la cabine. Il décide d’accélérer le bateau mais n’obtient quasiment aucun résultat. Il n’arrive plus maintenant à se maintenir aux commandes tant le roulis devient important. Le bateau va chavirer, c’est sûr ... !

L’issue, Marco ne la verra pas. Il s’assommera d’abord contre une paroi de la cabine et se noiera ensuite lorsque le caboteur coulera.

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Jean et Rico ont été entraînés ver La Méridéenne. A leur arrivée, on leur a dit qu’ils allaient d’abord être reçus par le nouveau Grand Sage, puis ils seraient confrontés au Conseil. Pour l’instant, il fallait attendre car le nouveau Grand Sage et presque tous les méridéens étaient en mission.

Le nouveau Grand Sage ? Jean et Rico se regardent, interdits. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a un nouveau Grand Sage ?

D’où ils étaient retenus, ils ne pouvaient rien voir mais ils avaient l’impression d’une grande agitation et de nombreux déplacements à La Méridéenne. Ils durent attendre très longtemps avant d’être enfin reçus par le Grand Sage. Et en effet, il leur était inconnu !
-- Avant toute chose, je tiens d’abord à vous montrer ceci. Suivez-moi,  dit le nouveau Grand Sage.

Jean et Rico le suivent jusqu’à la pièce contiguë, et là, en effet, ils voient ! Ils voient, miroitant de mille feux, comme pour les narguer, tous les lingots d’or arrangés méthodiquement en petites piles d’un demi mètre cube environ. Ils sont tous là. Dix tonnes d’or !

Jean souffle à Rico que son ami le banquier n’appartient sans doute plus au monde des terriens.

Puis le nouveau Grand Sage déclara :

Ils furent invités à rejoindre le Conseil qui devait examiner et débattre de l’ensemble des évènements survenus à La Méridéenne, pas seulement des cas Jean et Rico.

Ils prirent place parmi les frères du Conseil dont la gravité était visible. Depuis leur arrivée, ils n’avaient ressenti aucune animosité de la part des méridéens et cela les interrogeait un peu. N’avaient-ils pas gravement trahi le Dogme ?

Quand ils comprirent ce qui était arrivé au Grand Sage, que tous les méridéens avaient participé au massacre, alors Jean et Rico surent que plus personne n’était en mesure de juger qui que ce soit pour sa conduite. C’est d’ailleurs ce qui ressortait des expressions des uns et des autres. Tenaient-ils à minimiser la conduite de Jean et de Rico pour mieux minimiser la leur ? Il y avait sûrement de cela. Le nouveau Grand Sage dit que La Méridéenne avait besoin d’une grande réconciliation, pleine de fraternité et d’humilité. Seule une sorte d’amnistie générale pouvait la sauver. Et puisque l’or était là, il convenait maintenant que tous se mettent au travail !

Il fut longuement acclamé par le Conseil, mais aussi par tous les frères présents.

Jean, l’ancien successeur potentiel, pensa que la tournure des évènements avait fait apparaître un «super» Grand Sage pour La Méridéenne. Il ne regrettait rien. Rico non plus.

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Fin de la 3ème partie
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Chapitre 4 : L'enquête ligurienne